Connaissez-vous le Stevia Rebaudiana bio antioxydant naturel puissant Bertoni ?
Pendant des siècles, cette petite plante a été utilisée par des tribus indiennes d’Amérique latine tout en passant quasiment inaperçue sur les autres continents. Les choses changent : les multinationales commencent à s’y intéresser sérieusement et les lobbies des édulcorants synthétiques à la craindre. En Bolivie, elle fait vivre de plus en plus de petits producteurs qui, parfois, la considère aussi comme une alternative plus rentable que la coca.
Comment le stevia a changé la vie de Doña Marina
Communauté de Santa Fé près de Caranavi. Un soleil de plomb a immobilisé la vie sur la petite place du village et a fait fuir les habitants dans leur modeste maison. Sur le sol en terre battue, dans un coin, des feuilles vertes sèchent. Doña Marina a terminé hier sa récolte de stevia qui sera tout prochainement transportée vers La Paz, la capitale bolivienne. « Quand nous aurons un vrai séchoir, ce sera nettement plus commode pour faire sécher le stevia », nous commente-t-elle en regardant les plastiques sur lesquelles sont étalées les feuilles.
Lorsque nous la rencontrons, cela fait trois ans que Doña Marina s’est lancée dans ce type de culture. Et à aucun moment, elle n’a regretté ce choix. Auparavant, elle vivait de la banane. « Cela ne donnait pas bien ! Les revenus étaient alors insuffisants pour la famille. J’ai dû trouver autre chose ».
En Bolivie, le stevia, c’est plutôt une histoire de femmes. En effet, cette culture ne requiert pas un travail lourd et est relativement aisée. En outre, elle présente des avantages non négligeables : d’une part, elle est rentable car ceux qui en vivent peuvent compter sur environ 4 récoltes par an et d’autre part, l’intérêt va croissant pour cette plante sur laquelle lorgnent de plus en plus de firmes, voire de multinationales. Ce nouvel engouement a notamment contribué à tirer vers le haut le prix du stevia, raison pour laquelle plusieurs paysans commencent à la préférer à la culture de la coca, beaucoup moins rentable, plus exigeante et nécessitant davantage de pesticides. Ainsi, en 2008, au moment où le kg de coca se vendait à 28 bolivianos (+/-4 USD), le prix du stevia s’élevait à environ 70 bolivianos.
Doña Marina nous invite à la suivre afin de visiter sa parcelle située à quelques centaines de mètres de sa maison. Après avoir quitté le chemin de terre principal, nous franchissons un fossé, nous écartons quelques buissons et branchages encombrant un petit sentier et nous nous arrêtons derrière elle qui, de d’un geste large de la main nous désigne fièrement ses cultures. Sous nos yeux, sur un lopin de terre soigneusement entretenu s’étalent plusieurs rangées de plantes de moins d’un mètre de hauteur dont les feuilles poussent diamétralement opposées sur la tige.
La production de notre interlocutrice est totalement écologique. En guise d’engrais, elle utilise les déjections de ses poules ou encore de la cendre. « Avec la cendre, ça fonctionne très bien car la plante s’en trouve immédiatement améliorée », ajoute-t-elle. Par ailleurs, en tant que membre d’AOPEB, l’association d’organisations de producteurs écologiques, elle bénéficie d’un encadrement de spécialistes. Leurs conseils se sont avérés particulièrement précieux au début, au moment de sa reconversion. Ainsi, elle nous explique : « Dès que le stevia fleurit, il perd son goût sucré. Lorsque c’est arrivé au début, cela m’a un peu désarçonnée ». Mais Doña Marina a su y faire et au fil du temps, elle a appris à maîtriser parfaitement ce type de culture jusqu’à augmenter peu à peu ses récoltes. En outre, la plante se régénère après chaque récolte, pour autant que l’on prenne soin des racines. Indubitablement, pour Doña Marina, le stevia, c’est ce qui lui a permis d’améliorer sa qualité de vie.
Les origines du stevia
Le stevia ou Stevia Rebaudiana Bertoni, la plante la plus sucrée au monde, était cultivé à l’origine au Brésil et au Paraguay. Les Indiens Guarani l’utilisaient afin d’adoucir leurs boissons chaudes. Ce n’est qu’au 16ème siècle que les conquistadores l’ont chargé sur leurs bateaux pour l’amener sur le continent européen, sans toutefois qu’il ne connaisse un véritable développement commercial. Il n’est enregistré officiellement qu’en 1899 par un botaniste, le Dr. Bertoni.
Dans le contexte de pénurie de sucre durant la seconde guerre mondiale, les alliés ont souhaité le commercialiser, projet qui a échoué en raison de la technologie insuffisamment développée. A l’image de plusieurs pays d’Amérique latine (Paraguay, Uruguay, Brésil notamment), les rayons des grandes surfaces japonaises se sont remplis de boîtes de stevia en 1970, moment où ce pays a interdit l’utilisation des édulcorants synthétiques suspectés d’être cancérigènes. La Corée a fait de même.
Une plante aux multiples vertus
Le stevioside (substance végétale cristalline responsable du goût sucré) ou édulcorant extrait des feuilles de stevia se présente comme une fine poudre blanche. Il s’agit d’un produit naturel, non toxique, qui ne contient aucune calorie. D’après le Centre de Recherche pour la Stévia à la KUL de Leuven , cette plante a été testée cliniquement et n’entraîne aucun effet néfaste pour la santé même en cas d’utilisation prolongée. Dans les années ‘70, les Japonais sont parvenus à extraire les stéviosides et depuis lors, le produit est utilisé comme additif alimentaire ou édulcorant naturel. A elle seule, cette petite plante a ainsi récupéré 40% du marché des édulcorants. Les Japonais y ont trouvé un intérêt considérable vu que son pouvoir sucrant est de 15 fois plus élevé que le sucre conventionnel pour la feuille de stevia et de 100 à 300 fois pour les extraits de cette plante. La commercialisation s’est maintenant étendue à des pays en dehors du continent américain comme Israël, la Thaïlande ou la Chine.
Sur le plan médicinal, le stevia contribuerait également à réduire la tension artérielle ainsi que le taux de glucose sanguin. Il stimulerait la production d’insuline et tonifierait le cœur.
La force des lobbies sucriers
Ces multiples vertus lui ont ouvert les portes de plusieurs pays où le stevia se retrouve maintenant sur les tables sous forme de complément alimentaire ou d’édulcorant naturel. Si l’Europe reste encore frileuse en matière de commercialisation, il en va autrement de l’autre côté de l’océan. Ainsi, en décembre 2008, la Food and Drug Administration aux Etats-Unis a autorisé Coca-Cola et PepsiCo à utiliser les extraits de stevia dans certaines de leurs nouvelles boissons. La fin d’une véritable épopée au cours de laquelle la FDA avait refusé par trois fois l’homologation de cette plante, allant jusqu’à en interdire l’importation aux Etats-Unis en 1991.
Ce retournement de situation a immédiatement suscité des critiques acerbes du CSPI (Center for Science in the Public Interest), une organisation basée à Washington qui mène campagne sur les questions nutritionnelles aux Etats-Unis et au Canada. Cette dernière a immédiatement réagi en préconisant l’application du principe de précaution à l’extrait du stevia, évoquant des risques potentiels pour la santé. D’aucuns se sont empressés de souligner les contradictions du CSPI, alors qu’il se montre étonnamment moins virulent à l’égard de l’aspartame dont la toxicité a pourtant été soulevée dans plusieurs études scientifiques. Et les défenseurs du stevia de dénoncer les manipulations orchestrées par les puissants lobbies du sucre et des édulcorants synthétiques qui voient d’un mauvais œil l’arrivée de ce concurrent sur le marché.
L’Union européenne, elle aussi, préfère jusqu’à présent se retrancher derrière le principe de précaution à l’égard de cette plante qui est pourtant consommée depuis des centaines d’années sur le continent latino-américain. Etonnante prudence quand on sait que la position de Bruxelles sur la question des OGM, par exemple, est nettement moins catégorique alors que ceux-ci n’existent que depuis moins de 40 ans et que nombre d’associations ainsi que de citoyens se battent pour en obtenir l’interdiction.
Retour en Bolivie
Avec CELCCAR, Frères des Hommes soutient un projet de production de stevia dans la région de Caranavi. CELCCAR est une organisation économique paysanne rassemblant des coopératives et des associations impliquées dans diverses cultures. En tout, ce sont un peu moins de 500 petits paysans cultivant en moyenne entre 1 et 3 hectares qui bénéficient de son assistance technique et de ses formations en production, transformation et commercialisation. Notre partenaire encourage l’agriculture écologique et familiale auprès de ses affiliés.
Parmi ces derniers, 160 se sont attelés à la culture du stevia qui est écoulé à la fois sur le marché interne et international. L’un des objectifs poursuivis par ce projet spécifique est de permettre aux familles de petits producteurs d’augmenter leurs revenus par la vente de ces feuilles. On estime qu’en moyenne, chacun pourra gagner 3.250 bolivianos (environ 67 euros/mois) en plus par an grâce à cette activité, ce qui représente trois mois de salaire. Derrière ces chiffres, c’est bien entendu une amélioration des conditions de vie qui est visée. CELCCAR, mettant son expertise et son savoir-faire au service des affiliés, se charge de la transformation du produit de la récolte avant qu’elle ne soit écoulée sur le marché, ce qui lui permet également d’accroître ses revenus. Son rôle est notamment d’encadrer les paysans en organisant des formations et en leur fournissant un suivi technique.
Outre ses aspects écologiques et économiques importants pour la région, ce projet poursuit également un objectif politique dans la mesure où CELCCAR s’en trouvera progressivement renforcé. Cela lui permettra d’accroître son poids en termes de développement local. En effet, la loi de participation populaire bolivienne exige que les organisations actives sur le plan économique et social soient consultées par les instances communales dans le cadre de l’adoption de plans opérationnels et de décisions budgétaires. Notre partenaire gagnera en influence, ce qui sera également tout bénéfice pour les petits producteurs qui pourront plus aisément faire entendre leur voix.
Avec ce projet, cette petite feuille millénaire a donc une vertu supplémentaire à son actif : celle de permettre à des petits paysans d’améliorer leurs conditions de vie tout en s’inscrivant dans la ligne du développement durable et de ses trois piliers fondamentaux : l’économie (plaçant l’humain au centre des préoccupations), le socio-politique (au travers de la participation citoyenne) et l’environnement (par le biais de la pratique de cultures biologiques).